3. SOUVENIRS ET EVENEMENTS PERSONNELS
1945: Geneviève, Gérard, Emile, Georges, Lucette
Cyrille-Eloi et Clémence
GENEVIEVE : « Je suis allé à l’école de Triors de 5 à 12 ans. La classe de garçons et filles était unique mais quand nous fûmes 40, avec une seule institutrice, une école de garçons a été créée. Nous faisions le trajet maison à école quatre fois par jour, car nous rentrions à midi, soit environ 8 kms à pied chaque jour. Quand il faisait très froid, nous emmenions notre panier pour déjeuner à l’école et c’étaient de très bons moments. Nous avions tous des galoches au pied et ça faisait un grand bruit sur les planchers de l’école. J’ai passé le certificat d’études à Romans, j’avais 12 ans, nous n’étions que deux filles de Triors retenue pour passer cet examen. Je l’ai réussi, mais sans recevoir de cadeau. Et à 12 ans, mes parents ont décidé que je devais travailler à la ferme, comme avant moi ma sœur Lucette et mes deux frères, et toutes mes amies. Seul mon petit frère Gérard a pu entrer en apprentissage chez un mécanicien (Gérard : «de vélos et motocyclettes ») après le certificat d’études ». Emile : «pendant un hiver très neigeux, la Caisse des Ecoles a acheté des galoches (tapis en patois) pour tous les gamins de l’école ».
Geneviève : « L’hiver il n’y avait qu’un poêle dans la cuisine. Nous chauffions dessus de grosses pierres, puis enroulées dans une serviette nous les mettions dans le lit. Parfois, elles étaient trop chaudes et les draps prenaient le roussi. Plus tard mon père a fait faire une chambre, pour ma sœur Lucette et moi, à l’étage mais il fallait passer par un escalier extérieur »
Paul (mars 2011): « on m’a raconté mon sevrage à l’âge de 2 ans. J’ai été séparé de ma mère et envoyé quelques jours chez une tante. Ca se passait ainsi à l’époque. C’était également un moyen de contraception car pendant l’allaitement la mère était tranquille. Après le sevrage de l’enfant, l’épouse était souvent enceinte rapidement ».
François : «C’était presque le Moyen Age. On allait à pied à Geyssans pour se faire fabriquer des galoches que l’on portait même le dimanche. Parfois on profitait de la charrette du père Tardy, tirée par son mulet, pour aller au marché de Romans. Pendant l’hiver 1942, à tour de rôle, les élèves sciaient le bois et allumaient le feu de la classe ».
Jules Bossan avec la charrette. A gauche, Joséphine, Henria en partie cachée (?), François (?) Huguette (?), Jules à la casquette, Guitte et Paul au lincol.. Photo à Chatillon st Jean en 1938.
Geneviève : « J’assurais des travaux à la ferme, notamment emmener les 6 ou 7 chèvres dans les prés, ce qui me laissait beaucoup de temps pour tricoter – souvent un pull par semaine - ou bien mener le cheval quand il fallait labourer le long des vignes, et participer aux travaux des champs, notamment ramasser l’herbe pour les lapins. Une fois par semaine, avec ma mère et ma sœur nous descendions jusqu’à la Serve en dessous de notre ferme pour effectuer le lavage du linge au lavoir. C’était dur car il fallait le faire à genoux et taper fort avec le battoir puis il fallait remonter le linge mouillé jusqu’à la ferme en brouette »
« Le cochon était tué à l’automne, dans notre ferme, par une équipe qui faisait le tour des fermes. Mon beau-frère Etienne Bossan, pendant un moment, a travaillé ainsi. Mon papa s’éloignait car il ne voulait pas voir couler le sang. On conservait ensuite les morceaux dans le saloir. On partageait certains morceaux qui ne se conservaient pas avec les voisins, à charge de revanche quand ils tuaient leur cochon. Ma maman tuait elle-même les cabris au début du printemps, elle les attachait sur une échelle avant de les saigner».
François : «Un frère de Jules, Paulus (gazé en 14-18), tuait le cochon annuel et boudinait. On conservait les morceaux au saloir. C’était notre viande de l’année plus lapins ou poulets que l’on ne mangeait que dans des circonstances rares. On n’achetait jamais de viande chez le boucher, c’était trop cher. Ceci jusqu’à la fin des années 1960».
Coco : « on tuait aussi un cochon chaque année jusqu’au début des années 70, quand il n’y a eu plus personne pour le faire. Jusqu’à la fin des années 60, le bouilleur de cru passait également à La Garenne, il nous distillait environ 20 litres de gnole que nous utilisions pour fabriquer notre propre pastis en mélangeant l’alcool avec une préparation spécifique. Quand mon père Jean est décédé, nous avons perdu ce privilège ».
Paul (mars 2011) : « les lapins de garenne pullulaient et venaient manger les têtes de nos asperges dans nos champs, qui devenaient invendables. Alors, les grands sortaient avec les fusils pour les abattre, même si la chasse était interdite ».
Geneviève : «Le dimanche, nous allions à la messe, à pied, et je retrouvais mes amies puis l’après-midi de ce jour là, nous allions faire du vélo toutes ensemble, c’était de bons moments. Mon père et mes frères venaient aux messes pour les fêtes carillonnées (Pâques, Noel, etc.…) et ils chantaient à l’église. La messe de Noel avait lieu à minuit à Chatillon St Jean, nous y allions en groupe et à pied (2 kms) dans une ambiance de fête, en chantant à l’aller et au retour. Ma maman Clémence n’était pas très contente quand mon papa descendait à la seule épicerie/ café du village pour acheter du tabac car ensuite il passait beaucoup de temps à boire un coup avec ses amis. D’autres moments qui me laissent de bons souvenirs, ce sont les veillées d’hiver, alternativement chez l’une ou l’autre des fermes des alentours ; pendant que les hommes discutaient et que les femmes tricotaient, nous les enfants jouions dans la nuit. De temps à autre, notre famille Tardy se rendait le dimanche à Montmiral, dans la famille de Clémence. Le trajet se faisait dans notre carriole tirée par un cheval ».
François : « les occasions de fête, c’était les vendanges, battages, et surtout les mondées où le soir on devait trier une montagne de noix déjà cassées pour en récupérer les cerneaux. Il y ait un homme orchestre qui chantait et tapait la mesure avec ses mains sur une armoire et c’était la fête où l’on buvait notre vin rosé… Pour les fêtes de Noel, on surveillait nos lapins car il s’en volait beaucoup ».
Vendanges à Triors vers 1930/1935. Ils ne sont pas identifiés mais il y a des Bossan et des Tardy.
Gérard et son épouse Pierrette (sept.2011) : « nous nous sommes rencontrés à l’occasion de ces vendanges ».
Geneviève : « Lors de repas de fêtes, des ravioleuses professionnelles venaient à la maison pour préparer des grosses (unité de mesure du Moyen Age, soit 12 douzaines) de ravioles qu’elles disposent alignées dans un panier spécial appelé gavagne. Cela se pratiquait beaucoup, chez tous nos voisins, il n’y avait pas encore des ravioles toutes prêtes à cuire ! »
« Il n’y avait pas de frigo. Le beurre était conservé dans un papier plongé dans un seau d’eau. Avant l’hiver nous stockions des œufs dans le petit saloir, c'est-à-dire une biche avec de l’eau de chaux ; en effet, il y avait peu d’œufs en hiver. Nous utilisions peu de beurre mais surtout le saindoux tiré de la graisse de porc. Les autres aliments étaient conservés dans le garde-manger, à la cave. Nous avons acheté notre premier frigo à St Genix en 1954. »
« Une recette de la Guerre, l’Ortolaye. C’est une soupe avec des morceaux de légumes et de lard. On mange le bouillon sans les légumes mais avec des morceaux de pain. Les patates, raves ou navets sont sorties de la soupe et mangées arrosées d’un filet d’huile de noix ». Maryline : « maman Lucette me disait que ce plat a été réalisé pendant de longues années, bien après la guerre ».
Geneviève : « Je dansais dans un groupe folklorique dauphinois vers mes 17/18 ans (1943/1944). Ce groupe s’appelait la « Gerbe » ; mon frère Georges, ainsi que Paul et Guitte Bossan en faisaient partie. Nous dansions sur les chars à foin, qui faisaient office d’estrade, car il n’y avait pas de salle des fêtes dans les villages à l’époque ». Paul : « nous étions 200 participants, issus de 3 villages. En mai 1950, nous avons représenté le Dauphiné dans un congrès de la JEC et dansé au Parc des Princes à Paris. Mais Geneviève était alors à Gonnord ».
Geneviève : « Pour aller de Triors à Montmiral, il fallait d’abord aller à pied jusqu’à Geyssans (7 kms par la route mais 3 à travers les chemins des coteaux) pour prendre le bus. Il ne fallait pas le manquer, il n’y en avait qu’un par jour ».
Livre « Drome, les drômois et leur département » : « En septembre 1939, Max Ophuls tourne à Romans et Bourg de Péage « De Mayerling à Sarajevo » avec Edwige Feuillère »
LOUIS : petit séminaire de Crest (Drome, voir annexe 4) de 1932 (il a 12 ans) à 1935, car sa mère aurait bien aimé qu’il soit prêtre, comme l’un de ses propres cousins germains l’abbé Perrache. D’après Guitte, « Louis a arrêté ses études au Petit Séminaire après la 3°, quand il a dit qu’il ne voulait pas être prêtre. Il a alors continué ses études par correspondance, tout en travaillant à la ferme avec notre père Jules. La déclaration de la guerre l’a empêché de passer son bac». Paul : « Louis a arrêté ses études au petit séminaire puis a continué à étudier avec « l’Ecole Universelle » En 1947, il était commis de ferme chez les Barthelemy à Chatuzange le Goubet, où il gardait également les enfants de cette famille, voire leur donnait le biberon, comme à Odile fille de cette famille et ma future épouse ». Monique a interrogé les Archives Diocésaines de la Drome pour obtenir des précisions sur les études de son papa dans ce petit séminaire ; leur réponse par courriel du 21 octobre 2009 «Suite à votre demande de renseignements du 10 Octobre 2009 concernant votre père, Louis BOSSAN, nous sommes au regret de vous informer que les documents de la période de 1932 à 1938 ne sont pas consultables ». Quand Louis revenait du petit séminaire pour les vacances, il devait travailler à la ferme et ses deux frères ainés, Jules et Jean, étaient durs avec lui, se moquant de l’intellectuel qui avait peu de muscles.
Louis : ajout d’après ses notes posthumes retrouvées en 2012 : « je suis le 4° garçon d’une famille qui en comptera sept : famille nombreuse (depuis des siècles) ; Mon père venait en 1919 de terminer 7 années sous l’uniforme du 75° et 275° RI (de Romans) dont 5 années de guerre. Il va reprendre la métairie laissée par son père et son frère ainé, décédé. C’est une famille très modeste où les dépenses superflues sont inconnues et les habitudes d’économie ne s’effacent pas. Cette période n’a rien à voir avec celle d’aujourd’hui : pas d’électricité, ni radio, la cheminée et sa marmite tiennent une grande place. A six ans, je rentre à l’école primaire de Chatillon St Jean, je sais déjà lire, écrire et compter à la surprise de Mr Desgranges, l’instituteur. Ma mère m’a bien sur aidé ; elle est issue de la région d’Annonay, c’est une fervente chrétienne, elle va me pousser dans la direction qu’elle souhaite : école privée, petit séminaire pour être prêtre. Jusqu’en 4° pas de problème mais à partir de là je cherche à me dégager, pourtant je ne voulais pas lui faire de peine. En seconde, je me désintéresse totalement des études, ce sera terminé. Rien ne sera facile à la maison désormais. Je prépare un concours qui en définitive n’aura pas lieu. Ca bouge en Allemagne, les bruits de botte se font entendre. Septembre 1939, mes trois frères ainés sont mobilisés, partent confiants ; mon père est abattu, il croyait avoir fait la « dernière ». Je vais rentrer et les aider ».
Etienne (témoignage aout 2010) : « quand j’ai réussi mon certificat d’études, à 12 ans, mon père m’a emmené à Romans et il m’a offert une pioche neuve. Le lendemain, je travaillais à la ferme ».
A noter sur la photo de cette nouvelle promotion le nombre de jeunes gens portant tout ou partie d’un uniforme. Louis est le 1°à gauche au 2° rang.
Geneviève : « j’ai reçu pour mes 18 ans une carte postale de Louis (il avait 24 ans) qui travaillait alors pour l’IGN en Haute Saône. Après l’engagement de Louis, nous nous sommes beaucoup écrits, mes courriers étant adressés « aux armées ». Pendant ses permissions, Louis me retrouvait dans les « combes » de Triors où je gardais les chèvres ».
En 1948, Louis est affecté au contrôle des tabacs de Saumur, et a trouvé un logement à Gonnord* (Maine et Loire). Saumur était une nouvelle région pour l’exploitation du tabac et les agents de la SEITA (voir glossaire) nommés pour assister les planteurs de tabac étaient les derniers embauchés. Ensuite, Louis a obtenu une mutation pour le centre de Pont de Beauvoisin (habitation à St Genix*).
Louis : ajout par ses notes posthumes trouvées en 2012. « Le 10 septembre 1947, je suis en stage à l’Institut des tabacs de Bergerac, suite à un concours passé à Grenoble début juin, la notice concernant ce concours ayant été remise à mon père, expert planteur, par Mr Lagarde contrôleur à Romans. L’ambiance est excellente, travail et camaraderie, comme on voudrait que ça dure toute la vie ! 1948 : Je suis affecté à la direction de Tours, mission du Maine et Loire, service de la propagande. Un service qui demande beaucoup de temps et de paroles, mais on se prend au jeu et je vais aider des collègues temporaires qui éprouvent quelques difficultés. Au congrès national Seita Force Ouvrière du Mans je fais la connaissance de Jean-Antoine Maurin, titulaire à la Commission Paritaire et lui fait part de mon intention de rejoindre la direction de Grenoble où de nombreux départs à la retraite vont avoir lieu pour les anciens de 14-18 entrés après la Grande Guerre au titre des emplois réservés. Ma demande de mutation est refusée. Que faire ? Profitant de mes congés, je vais revoir Maurin chez lui à Chatte, il me conseille de demander un entretien à Grenoble. Ma famille étant fortement présente parmi les planteurs de tabac de Romans et St Marcellin, il me conseille Montmélian ou Pont de Beauvoisin : « il y a un vieux à St Genix sur Guiers* qui est arrêté six mois par an, il est pensionné de guerre et peut arrêter à tout moment ». C’est Mr Billard. Je suis informé de ma nomination à St Genix à compter du 16 avril 1954… Mr Billard me présente un collègue Mr Saubin, ils vont me trouver deux logements l’un à Aoste où il faut faire des réparations, l’autre à St Genix mais avec une reprise de 200.000 francs ; je n’ai pas d’argent et j’hésite entre les deux. Je fais le tour de la famille, on me prête ici et là des petites sommes et j’atteins mes 200.000 francs… Le directeur général de la Seita depuis 1953 est Pierre Grimanelli et il vient souvent à St Genix où ses parents habitent à la Foret…cela me vaudra des inimitiés insupportables car des collègues pensaient que j’étais pistonné dans une période où les oppositions entre syndiqués FO et CGT étaient très fortes».
Ajout 2012. Témoignage d’Anthelme Bret (épouse de Marie-Christine Boursier, cousine de Jean-Marc) en janvier 2012 : « mon père était petit paysan au dessus de St Genix avec quelques vaches. La culture du tabac était importante pour l’équilibre économique de son exploitation. J’avais environ 10 ans quand le nouveau commis des tabacs (au sens de commis de l’Etat) est arrivé sur notre secteur ; il était jeune et détonnait par rapport à son prédécesseur. C’était Mr Bossan. Quelle rigueur pour surveiller l’évolution de nos 12000 plants de tabac pour lesquels nous avions un permis d’exploiter. Quand des plans étaient abimés, il ne fallait pas oublier de les déterrer et de les mettre en bout de champ, où il les comptait. Et quand il y avait la grêle, il venait très vite se rendre compte des dégâts. C’était essentiel car le tabac était la seule culture où nous étions assurés et percevions quand même le revenu prévu alors que pour les autres récoltes c’était une perte sèche. Et Mr Bossan comptait nos plus belles feuilles qui servaient à faire les caps des cigares, payées plus cher ».
Monique : « je me souviens que quand l’orage menaçait, papa devenait inquiet pour ses cultures. Il demandait aux paysans de tirer des fusées anti-grêle et si la grêle tombait il partait vite se rendre compte des dégâts».
Jo Delporte (papa de Jean-Marc) : « je vendais des meubles et quand les paysans de mon secteur touchaient les sous de la récolte, c’était un bonne période pour mes ventes».
Coco : «nous avions effectivement des notes chez les artisans ou commerçants de nos villages et nous les réglions une fois par an quand le tabac était payé ».
Ginette Bossan (épse Coco) : « dans les années 1960, il n’y avait pas de traitement sur les feuilles de tabac. C’est après que sont apparus des traitements pour toutes les maladies possible, entre autres mildiou, pucerons. Et ce qui se fume est devenu plus mauvais pour la santé… »
En janvier 1959, Louis a un très grave accident de voiture entre St Genix/Guiers et Les Abrets, en rentrant d’achat de tabac à Beaurepaire, sur une chaussée verglacée avec du brouillard. Geneviève : « c’était le 31 janvier, nous habitions encore à La Bartoule et ma mère Clémence était chez nous. Les gendarmes ont sonné à la porte : « votre mari a eu un accident de voiture, voulez vous qu’on vous emmène sur les lieux ? » Un camion était rentré dans la 4cv que conduisait Louis, et il était assis avec son collègue le long d’un mur, la tête toute ensanglantée et ils criaient tous les deux de douleur. Un taxi est venu les chercher pour les emmener à l’hôpital de Pont de Beauvoisin, deux hommes l’ont soulevé pour le mettre dans le taxi, il hurlait de douleur encore plus fort ! Il avait une fracture du bassin…et un traumatisme crânien !!! Entre le moment de l’accident et son arrivée à l’hôpital, il a bien du se passer 2 heures ! Le journal du lendemain annonçait son décès ! Il a eu 6 mois d’arrêt de travail. » Monique et Gilbert : « nous nous souvenons du moment où les gendarmes ont sonné à la porte, nous étions paniqués ; j’étais dans l’escalier à ce moment là rajoute Gilbert ».